Première partie
Un jour, dans Needle Park, le parc « De la Piqûre », j’ai rencontré un garçon. Il dormait sur un banc, dans son sac de couchage ; avec sa seringue et sa pochette de poudre blanche. Eté 1971 : annus mirabilis. J’avais treize ans ; nous nous sommes incisés les poignets avec un canif. Nous nous sommes juré de nous retrouver au même endroit, à la même heure, dix ans plus tard. Dix années passèrent. J’avais encore cette petite cicatrice, et quelques autres, plus fraîches: quelques unes sur les bras, quelques unes aux creux des genoux. Je l’ai cherché dans le parc pendant toute une journée, et le lendemain. J’ai cru le reconnaître sur le visage de plusieurs garçons. Il n’était aucun d’eux. Le troisième jour non plus, je ne l’ai pas trouvé. Sur le banc, il avait gravé avec son canif : 1956-1980. Il était mort, j’ai calculé, à la fin des l’année mille neuf cent quatre vingt, pendant l’hiver, juste avant Noël. Moi, j’étais encore vivante. Je logeais à « L’auberge de Paddy », dans l’West Side, dans le quartier qu’on appelait encore alors La Cuisine de l’Enfer. Vingt dollars la nuit. J’ai parcouru la ville, j’ai traversé des ponts, je me suis arrêtée aux péages, le pouce levé en direction de l’arrière-pays. Quelqu’un était mort. Moi, j’errais toujours. I walked the walk. I talked the talk.
Soti Triantafyllou est une écrivaine et historienne grecque née à Athènes en 1957. Elle a fait des études doctorales à Paris et à New York. Son dernier roman, «Pour l’amour de la géométrie » est sorti en 2011.