Contes de désespoir partie 2
13. Je me souviens de l’histoire d’Alex, un jeune criminel qui aimait la musique de Beethoven. De plus, il avait un ami –un cobra- que pendant le jour il cachait dans un tiroir. La nuit, le serpent venimeux dormait avec lui, au pied du lit. Les nuits étaient inquiètes, les jours marqués par des ivresses délirantes et des pulsions destructrices. Alex fut arrêté et mis en prison. Là, il fut soumis à une thérapie qui visait à lui extirper le Mal : pour commencer, attaché à une chaise, il regardait sans interruption des scènes d’horreur projetées sur un écran : des camps de concentration, de longues séances de torture, des paysages dévastés, des cimetières ténébreux, des moribonds enchaînés à des lits métalliques dans des hospices. Pour qu’il garde toujours les yeux ouverts, les médecins avaient attaché ses paupières avec des pinces. Après son « rétablissement », Alex se mettait à vomir chaque fois qu’il se trouvait en face de la violence –la violence qui était son ancienne pulsion, sa vraie nature- mais aussi en face du sexe, de l’art et de la musique de Beethoven. Le cérémonial de la violence se transmua en un numéro de music-hall où le cobaye, Alex, encaissait désormais sans protester des coups de poing et des coups de pied, il léchait les bottes des autres et s’enfuyait devant les belles filles délurées. La science le rendit à la société, rééduqué, une proie pour ses camarades vindicatifs et un miracle pour la science : Alex était devenu une orange mécanique.
Soti Triantafyllou est une écrivaine et historienne grecque née à Athènes en 1957. Elle a fait des études doctorales à Paris et à New York. Son dernier roman, «Pour l’amour de la géométrie » est sorti en 2011.