Par Yorgos Karouzakis
Thierry Jolif-Maïkov, c’est un artiste français qui aime passionnément le rock and roll, la philosophie, la poésie, l’histoire et le mysticisme de la religion, les civilisations celtique et byzantine. Il est chanteur, compositeur, créateur d’une bande expérimentale Lonsai Maïkov, écrivain, essayiste et journaliste au magazine culturel numérique: Unidivers.
Son intérêt pour la culture grecque, ancienne et contemporaine, est grand. Il y a quelque temps, il a commencé à écrire la musique originale pour la vidéo de l’écrivain et photographe grec Christos Chrisopoulos, intitulée Look20. Il utilise le nombre exact de 20 photos placées dans une succession à intervalles temporels égaux, créant ainsi des ” films ” d’une durée d’environ 8-10 minutes. Le résultat est un environnement charmant d’images statiques, autonome et clos, qui capte la psyché du photographe et la spécificité de son regard. À cette occasion, Thierry Jolif-Maïkov a répondu à nos questions:
Vous êtes compositeur, écrivain et souvent vous collaborez avec d’autres artistes. Comment l’ art de la musique coexiste-t-il avec les autres formes d’art dans votre travail? Comment définiriez-vous votre identité? Êtes-vous un artiste qui se déplace au-delà des limites étroites des différentes formes d’art?
«Pour être vrai, je me sens et me représente comme un poète. Cela peut sembler un peu démodé et ridicule, mais je pense et ressens de cette façon. Et la poésie n’est pas dans mon esprit quelque chose d’imprimée, mais qui a à faire et à traiter avec le sens le plus ancien et puissant. Quelque chose qui est très clairement lié à l’idée de semences et de logos spermatikoi. L’origine de toutes choses. Selon le Veda la syllabe originelle AUM, le son vibratoire est la cause efficiente du monde manifesté, et dans la Bible, Dieu dit toutes les choses afin de les tirer de leur nihil vers l’être … Regardez comme monde et mot sont proches en anglais. Dans la musique, les notes sont des mots non-dits, en parlant ou en écrivant, vous pouvez donner de nombreuses directions vibratoires à un mot, et même aux différentes parties composant ce mot. Et chaque vibration est un mouvement différent de l’air, c’est de l’énergie (dynameis).
»Au cœur profond de chaque art, il y a vibrations, la lumière, l’air, le son. Pour moi les autres arts sont aussi, par essence, quand ils sont vrai et sincère, «la poésie». Ce sont des formes de langage. Ce n’est pas «comment» la musique et les autres arts communiquent mais “là où” ils communiquent, à cause de cette racine commune. C’est cette vision, qui est mienne, qui fonde le «comment» je me déplace à travers les frontières entre les différentes formes d’art. Parce que le fond le plus profond de chaque forme est la poésie. C’est évident pour un film ou le théâtre, mais des peintures, des danses, des sculptures ou des photographies nous parlent aussi. Dès le début de mon travail musical, je n’ai pu séparer, musique, sons, des mots et des images (photographies, dessins, vidéos). Et ce n’est pas seulement l’illustration de l’un par les autres, j’y vois beaucoup plus une forme d’expansion et de réfraction, les différents aspects d’une sensation ou d’un sentiment (ce que les hindous appellent “darshana”), parfois même jusqu’à composer avec les aspects contraires ou contradictoires. L’art est le meilleur endroit pour atteindre à la coincidentia oppositorum».
Dans votre oeuvre et vos idées existe un fort sentiment de spiritualité, souvent motivé par l’esprit du christianisme orthodoxe. Comment cet intérêt religieux est-il lié à votre art?
«Un de mes musicien de rock préféré (David Eugene Edwards, Wovenhand) déclarait récemment à un magazine britannique «Je crois que le monde de l’esprit est réel». Musique et arts ne sont peut être plus liés à la religion, mais il l’ont été pendant si longtemps… Cette rupture est, en ce qui concerne la longue histoire, très récente. Désormais, les arts sont libres des institutions religieuses (au moins en «Occident»). Les arts peuvent tout dire et tout essayer, c’est un grand défi, malheureusement la plupart des gens ne pensent pas réellement à ce sujet parmi les artistes. Les choses se font trop facilement. Mais, même dans cet état de choses, l’art n’est pas seulement matériel, l’œuvre d’art existe dans l’esprit du créateur avant d’être mis en acte. L ‘«être» de l’œuvre d’art est intérieur, ce qui est donné à l’auditoire est “son existence”…
»Quelqu’un a dit que la statue existe dans le bloc de la matière et que le créateur la révèle seulement en retirant la matière. Je ne suis pas strictement platonicien, mais je suis d’accord avec l’idée de certains archétypes invisibles. Je ne suis pas d’accord avec le déterminisme ou le destin, la pensée de Nicolas Berdiaev quant à la liberté, et sur l’importance absolue de l’acte créateur a eu une grande influence sur moi. Mais, je dois aussi dire que je suis un converti et mon chemin à travers l’orthodoxie a été très libre et spécifique. J’ai appris, à travers l’étude des Pères et les œuvres du Père John Savvas Romanidis a poser la distinction entre la religion (ce que le Père Romanidis appelle même la “maladie de la religion”) et la voie du Christ (qui est selon le père Romanidis «le traitement de la maladie de la religion »).
»L’art est aussi un moyen de libérer la personne de l’esclavage du déterminisme, des dominations, des pouvoirs de toutes sortes. Mais, comme tout ce qui vient du cœur et de l’âme de l’homme, il contient son propre mal, l’orgueil, l’égoïsme, l’égocentrisme. Et donc, le risque d’idolâtrie. La spiritualité (pas dans la compréhension du new age) peut être une excellente école de discipline, de connaissance, de possible compréhension de soi-même. Mais le risque est le même … Dans un de ces meilleurs livres Gabriel Matzneff indique que la source de l’œuvre d’un artiste est “le dialogue du mal et de Dieu dans le secret de son cœur.” L’art est une tension. L’art peut tout montrer, le mal, la faiblesse, la violence, la lâcheté, la saleté, toute la beauté humaine et toutes les turpitudes humaines et les défauts. Mon ami Jean-Louis Costes a raison quand il explique son art extrême et violent de dire qu’en fait, il n’est pas plus violent que la fête du carnaval du Moyen-Age, ou que de nombreux théâtres traditionnels. Mais la foi n’est pas limitation, sans doute depuis que j’ai approfondi ma conviction je me sens plus libre dans mon art pour explorer tous les territoires qui m’excitent… De nombreux écrits des Pères de l’Église contiennent une très belle poésie. Si nous laissons tomber nos préventions comme dans tout autre domaine, nous pouvons apprendre beaucoup. “La sagesse consiste à voir toutes choses dans sa vérité, avec une liberté intérieure”, a déclaré Maxime le Confesseur.
»Ma foi et ma croyance sont parfois dans les paroles, c’est parfois tout à fait clair, parfois plus obscure, symbolique, d’une manière traditionnelle ou non, c’est la même chose avec la musique ou la poésie. La plupart des essais que j’ai écrits sont à ce sujet et ma vision actuelle de la poésie et de la littérature dépend de cette approche spécifique. Cependant, je pense que c’est surtout dans ma façon de travailler et dans mon approche que l’importance de mes convictions spirituelles sont les plus sensibles. Je ne crée pas de la musique religieuse ou «sacré», mais je crois vraiment que la musique, qu’elle soit bonne ou pas, parle au cœur, et pour la voie orthodoxe le “coeur” est le trône de l’esprit …».
Comment abordez-vous l’univers de Christos Chrissopoulos avec qui vous collaborez pour “LOOK20”;
«Mon premier contact avec le travail Christos a été la lecture de “Une Lampe Entre Les Dents”. Je suis aussi un journaliste pour un magazine culturel français (unidivers.fr) et j’étais bien décidé à écrire une chronique sur ce livre. Il a été le premier livre de Christos que j’ai lu et il m’a fait grande impression. J’aime la Grèce pour de nombreuses raisons et la situation actuelle me rend plus que triste. La façon de Christos d’écrire non seulement sur la crise proprement dite mais surtout la manière dont l’histoire de son pays peut être vu et raconté par un écrivain et photographe, comment le monde intérieur d’un écrivain peut être réceptif à l’histoire et à des parcelles d’un monde si proche de lui. C’est vraiment émouvant. Son regard et ses mots font s’élever un sens, une signification personnelle à la réalité divisée, aux réalités atomisées de la vie de tout le monde ici et là. Alors, j’ai fait de mon mieux pour écrire un bon compte-rendu de son travail et de ma compréhension, de mes lectures et nous avons publié l’article. Comme chaque webzine nous avons une page Facebook et nous y partageons les liens vers nos articles. Peut être deux heures plus tard, j’ai reçu un message de Christos … Il est très rare d’avoir une telle réaction d’un auteur. Nous avons commencé à parler de nos travaux respectifs et il est devenu rapidement évident qu’il pouvait écrire et publier de courtes notes avec des photos régulièrement pour notre site du webzine. Et il le fait. C’est désormais un journal appelé Disjonction. Et nous songeons également à la création d’une exposition d’une année de publications, avec les photographies et une musique spécifique, peut-être avec des voix, la lecture de ses textes …
» Ce que j’aime, c’est que Christos est un “mélange”. Son travail n’est pas sociologique, ni journalistique ou même philo-politique seulement. Il est tout en un, mais surtout il garde toujours un aspect artistique. Il a également été tout à fait évident que nous devions essayer de travailler ensemble. J’ai d’abord fait une musique pour guitare pour une conférence que Christos a donné en France. Et enfin, ce morceau est maintenant la “bande sonore” de vidéos inspirées de son livre “Monde Clos” et des photos qu’il a fait pour ce texte. Puis, il m’a demandé des musiques pour sa vidéo A Short love story qui est un travail beaucoup plus personnel, intime et artistique, et c’était formidable de passer d’un monde à l’autre. Je pense que c’est à partir de ce moment-là que Chris m’a demandé de collaborer avec lui pour Look20.
Ce projet s’inscrit parfaitement dans mon propre désir de composition à la fois de la musique et des images. Parfois, il me semble que je peux composer de la musique plus personnelle, plus poétique quand je le fais pour quelqu’un d’autre. Levinas avait raison: l’altérité est la clé …».
http://thierryjolif.hautetfort.com,
http://lonsaimaikov.bandcamp.com/album/d-cembre-au-mont-des-oliviers