Soti Triantafyllou: Contes de désespoir

Contes de désespoir partie 2

14. Le meilleur conseil qu’on lui a donné : gare à tes yeux. Il erra les yeux grands ouverts, car comment fermer les yeux devant les choses invisibles ? Il erra : il vit un cortège funèbre à Guadalajara, un rodéo dans l’Est du Texas, un accident sur l’autoroute 91, la silhouette d’un homme assassiné sur la chaussée, dans une ville fantôme de l’Amérique profonde. Gare à tes yeux. En Tanzanie, dans la savane, il vit un lion déchiqueter un zèbre : Mort dans l’après-midi. Le cycle de la vie : la cruauté, sa photogénie du sang. Puis, le temps s’est écoulé ; dans le café d’une gare de province, il mangea un gâteau au chocolat glacé, il but du faux Coca Cola, une sorte de Doctor Pepper en boîte; un couple de jeunes mariés prenait le train pour leur voyage de noces, sur le quai un cireur astiquait des chaussures. Gare à tes yeux. Garde tes yeux non seulement des paysages éblouissants, des grandes villes resplendissantes, des nuits glauques, mais aussi de cette jeune fille solitaire qui, dans l’ascenseur, lève les yeux vers le plafond, en soupirant, habitée de démons troubles.

Soti Triantafyllou est une écrivaine et historienne grecque née à Athènes en 1957. Elle a fait des études doctorales à Paris et à New York. Son dernier roman, «Pour l’amour de la géométrie » est sorti en 2011