Par Xavier Bargue
Quand on a envie de se plonger dans la culture d’un pays dont on tombe amoureux, ou qui nous intrigue, on pense bien sûr à la littérature traduite. Mais un autre versant de la culture d’un pays, de plus en plus accessible de nos jours, est la musique. La musique grecque est un vaste sujet, tant son répertoire est riche et varié. Un premier mot-clé viendra à l’esprit de ceux qui se sont déjà un peu intéressés au sujet : le “rebetiko”, style musical auquel on associe l’instrument incontournable du bouzouki, dont les sonorités sont plus aiguës et plus orientales que la guitare.
Le rebetiko
Parlons donc un peu du rebetiko. Ce genre musical est devenu symbolique de la Grèce aux yeux du monde entier, alors même qu’il est diversement apprécié à l’intérieur même du pays. Les grands amateurs de rebetiko sont finalement peu nombreux en Grèce, ou plus exactement, le rebetiko est souvent reconnu pour son caractère culturel historique, mais est peu écouté au quotidien par la plupart des Grecs.
Le rebetiko se caractérise en effet par un chant rude, souvent rocailleux pour les hommes, légèrement plus doux pour les femmes. Autant dire que ça ne plaît pas forcément à tout le monde ! Il existe bien entendu certaines radios spécialisées en rebetiko que certains écouteront sans se lasser, mais cela reste relativement rare. Né dans les années 1920, musique des quartiers pauvres d’Athènes, le rebetiko a connu une apogée complexe et oscillante des années 1930 à 1950, avant de presque disparaître en tant que tel pour laisser place à des compositions plus modernes “inspirées du rebetiko”. Il nous reste de cette époque de très nombreux enregistrements longtemps restés longtemps difficiles à trouver avant de connaître de nombreuses rééditions en CD depuis une dizaine d’années.
Parmi les nombreux grands compositeurs ou chanteurs de l’époque du rebetiko, l’Histoire a surtout retenu les noms de Vassilis Tsitsanis (Βασίλης Τσιτσάνης), Markos Vamvakaris (Μάρκος Βαμβακάρης) et Roza Eskenazi (Ρόζα Εσκενάζυ). D’autres noms un peu moins connus mais tout aussi remarquables et parfois plus accessibles sont aussi à mentionner, comme Manolis Hiotis (Μανώλης Χιώτης), inventeur du bouzouki à huit cordes, compositeur prolifique qui chantait rarement lui-même ses compositions.
Toujours à l’époque classique du rebetiko, la voix de Marika Ninou (Μαρίκα Νίνου) est certainement l’une des plus douces et des plus agréables, bien que celle de Roza Eskenazi puisse aussi s’apprécier sans trop de difficultés grâce à son timbre assez haut-perché très typique des années 1930. Bien après l’apogée du rebetiko, la chanteuse Sotiria Bellou (Σωτηρία Μπέλλου) a connu une carrière tardive de rebetissa en se démarquant par sa voix de contre-alto à la tessiture parfois presque masculine. Pour un débutant en musique grecque, la plupart des chansons de rebetiko sont néanmoins très difficiles à apprécier à cause de leur ancienneté, il faut bien le dire.
A écouter sur YouTube :
Markos Vamvakaris – Φραγκοσυριανή (1932)
Roza Eskenazi – Μας κυνηγούν το ναργιλέ (1935)
Léopold Gad – Πήραν τα φρύγανα Φωτιά (1929, morceau intéressant pour son chant spectaculaire)
Yannis Halikas – Μουρμουρικο Ζεϊμπεκικο (1933, morceau instrumental)
Marika Ninou – H Σεράχ (1951)
Manolis Hiotis; Mairi Linda – Ηλιοβασιλέματα, Συλβάνα
Sotiria Bellou – Συννεφιασμένη Κυριακή
Musique inspirée du rebetiko, laïko, âge d’or des années 1960 et 1970
Le rebetiko étant souvent difficile à écouter de nos jours, mieux vaut se tourner vers des compositions plus modernes pour ceux qui voudraient découvrir la musique grecque. Les années 1960 et 1970 sont à ce titre deux excellentes décennies dans lesquelles on peut piocher abondamment. Comme beaucoup d’autres pays, la Grèce a connu à cette époque un grand épanouissement culturel qui a amené, de mon point de vue, ce qui s’est fait de mieux dans l’histoire de la musique grecque.
Cette époque se caractérise en Grèce par l’arrivée sur scène de nombreux chanteurs et chanteuses entreprenant une carrière solo, contrairement au Royaume-Uni ou aux États-Unis où ces deux décennies ont avant tout été l’époque des “groupes”.
L’une des spécificités de la musique grecque dans ces décennies est aussi l’importance des compositeurs (musique et paroles), qui ne chantent presque jamais eux-mêmes, mais sont tout aussi connus que les chanteurs ou chanteuses qui interprètent leurs compositions.
Deux compositeurs structurants de cette époque (des années 1950 à 1980 principalement) sont Mikis Theodorakis (Μίκης Θεοδωράκης) et Manos Hatzidakis (Μάνος Χατζιδάκις), souvent mis en opposition. Mikis Theodorakis est principalement considéré comme un compositeur politiquement engagé à gauche, ayant écrit des chansons de révolte, notamment lors de la dictature des Colonels qui l’a traqué avec férocité pour cette raison. Manos Hatzidakis, plutôt associé à la droite modérée du pays, est quant à lui un pianiste de formation, compositeur de morceaux calmes aux paroles poétiques souvent considérés comme des chefs-d’œuvre.
Manos Hatzidakis élimine souvent la lutherie orientale (bouzouki, baglama, outi, santouri…) de ses compositions, et ses morceaux peuvent à ce titre sonner plus “occidentaux” que “grecs”, mais c’est sans compter l’importance des paroles qui mettent bien en valeur la langue grecque dans toute sa richesse. A ces deux grands compositeurs, il faut ajouter Dionysis Savvopoulos (Διονύσης Σαββόπουλος), aussi chanteur de ses propres compositions, Manos Loïzos (Μάνος Λοΐζος) et Yannis Spanos (Γιάννης Σπανός), tous deux compositeurs de succès dans les années 1970 principalement, et Stavros Ksarhakos (Σταύρος Ξαρχάκος), connu comme compositeur de nombreuses musiques de films de l’âge d’or du cinéma grec à cette même époque.
Parmi les chanteurs et chanteuses qui se sont surtout démarqués à partir du début des années 1970, les plus connus sont Georges Dalaras (Γιώργος Νταλάρας) et Haris Alexiou (Χάρις Αλεξίου), qui doivent en partie leur célébrité à la longueur de leur carrière toujours active depuis 40 ans. Dalaras et Alexiou ont d’ailleurs souvent collaboré sur des albums communs avec le compositeur Manos Loïzos précédemment mentionné. Les premiers albums de Dalaras sont remarquables, mais le personnage a ensuite évolué dans les années 1980 en sortant des albums moins convaincants, et certaines de ses déclarations publiques l’ont même rendu impopulaire en Grèce. Haris Alexiou est quant à elle restée très fidèle à elle-même tout au long de sa carrière, changeant relativement peu de style avec toujours de bonnes chansons et un succès qui ne se dément pas.
Tout aussi remarquables que Haris Alexiou se trouvent de nombreuses chanteuses qui ont rencontré un fort succès dans les années 1970, voire un peu avant. Il faut citer ici Dimitra Galani (Δήμητρα Γαλάνη), Arleta (Αρλέτα), Maria Faradouri (Μαρία Φαραντούρη), Vicky Moscholiou (Βίκυ Μοσχολιού), Eleni Vitali (Ελένη Βιτάλη), Kaiti Homata (Καίτη Χωματά), ou encore Mariza Koch (Μαρίζα Κωχ) parmi beaucoup d’autres.
Les meilleurs tubes sont souvent les plus anciens, et les chansons ou albums de fin de carrière manquent souvent d’inspiration. Un cas très particulier à évoquer est celui d’Anna Vissi (Άννα Βίσση), chanteuse ayant débuté sa carrière adolescente vers 1973 auprès de George Dalaras avec des chansons simples et belles, puis qui a démarré une carrière solo à la fin des années 1970 dans un véritable crescendo de mauvais goût qui perdure jusqu’à maintenant. Coiffure-choucroute dans les années 1980, chirurgie esthétique probable par la suite, jusqu’aux clips à caractère pseudo-sexuels et provocants il y a quelques années pour essayer de se sentir encore jeune à 55 ans, Anna Vissi est désormais souvent vue en Grèce comme une chanteuse pour adolescentes de moins de 18 ans façon “Lorie”. Triste évolution pour une chanteuse remarquable à ses débuts.
Du côté des chanteurs, il est possible de s’initier à la musique grecque avec des interprètes souvent liés à un répertoire proche du style “rebetiko”. Yannis Poulopoulos (Γιάννης Πουλόπουλος), Yannis Parios (Γιάννης Πάριος) ou Dimitris Mitropanos (Δημήτρης Μητροπάνος) en sont de bons exemples. Dans un style plus occidental où la lutherie grecque traditionnelle est souvent remplacée par le piano, il faut évoquer Kostas Karalis (Κώστας Καραλής) dont la chanson “Σπασμένο καράβι” est probablement l’une des plus belles de tout le répertoire grec. De nombreux autres chanteurs ont marqué cette époque avant de se retirer de la scène vers les années 1980.
A écouter sur YouTube :
George Dalaras – Ένας κόμπος η χαρά μου (1971), Το πουκάμισο το θαλασσί (1974), Τώρα που θα φύγεις (1974), Ήταν πέντε ήταν έξι (1974), Η πρώτη άνοιξη (1975, instrumental).
Haris Alexiou – Μια καλημέρα (1974), Τι γλυκό να σε αγαπούν (1979), Πήρε φωτιά το Κορδελιό (1972)
Manos Loïzos – Καλημέρα ήλιε (1974)
Dimitra Galani – Άσπρο περιστέρι (1971)
Mariza Koch – Νανούρισμα (1970), Οι παλιοί μας φίλοι (1972)
Kaiti Homata – Μια αγάπη για το καλοκαίρι (1960’s)
Vicky Moscholiou – Πάρε το δρόμο τον παλιό (1966)
Anna Vissi – Emission TV de 1973
Yannis Poulopoulos – Το άγαλμα (1969), Όλα δικά σου, μάτια μου, Κάθε Μάρτη, κάθε Απρίλη, κάθε Μάη
Dimitris Mitropanos – Θεσσαλονίκη (1967)
Yannis Parios – Μη με κοιτάς (1974)
Kostas Karalis – Σπασμένο καράβι
Manolis Mitsias – Της ευτυχίας το νερό
Pop/Rock
Sans être un style grec, je consacre néanmoins un petit paragraphe au pop/rock qui pourrait intéresser les lecteurs qui cherchent à découvrir comment s’est décliné en Grèce ce style international dont ils sont déjà familiers. Le grand nom à connaître dans le domaine du pop/rock grec est celui du groupe Pyx Lax (Πυξ Λαξ), qui a notamment marqué les années 1990 avec beaucoup de bons tubes.
Plus ancien (milieu des années 1960), dans un style plus proches des Beatles, et même au parcours relativement semblable aux Bee Gees pour l’évolution soudaine de leur musique au tournant des années 1970, il faut citer les Olympians, ayant sorti des tubes en chantant en grec des succès internationaux de l’époque. Le tube “Το σχολείο” (1966) est indémodable.
On peut aussi évoquer, un peu en vrac, les chanteurs Vassilis Papakonstantinou (Βασίλης Παπακωνσταντίνου), généralement considéré comme l’un des pionniers du rock en Grèce à partir de la fin des années 1970, Lavrentis Mahairitsas (Λαυρέντης Μαχαιρίτσας), Pavlos Sidiropoulos (Παύλος Σιδηρόπουλος), les frères Katsimiha (Αδελφοί Κατσιμίχα), Yannis Aggelakas (Γιάννης Αγγελάκας), parfois considéré comme le “Jim Morrison grec” bien que cette affirmation soit contestable à plus d’un titre, ou encore le groupe 2002 GR, qui ont rencontré des succès à des époques différentes.
Olympians – Το σχολείο (1966), Ο Αλέξης (1967), musique pop
Vassilis Papakonstantinou – Βαρέθηκα τα χωρατά (1978)
Pyx Lax – Οι παλιές αγάπες πάνε στον παράδεισο (1996)
Frères Katsimiha – Κόκκινος χορός
Lavrentis Mahairitsas – Τελευταια πραξη
2002 GR – Μαγική αυλή
Musique actuelle
Beaucoup d’autres personnes seraient mieux placées que moi pour parler de la musique grecque actuelle. Comme dans la plupart des pays d’Europe, le répertoire grec se compose désormais de tous les styles possibles et imaginables, avec en général beaucoup de morceaux de musique pop/rock chantés aussi bien en grec qu’en anglais, qui passent en boucle sur certaines radios.
Ceux qui cherchent de la musique qui “sonne” grec ne trouveront pas forcément leur bonheur dans ce qui se fait de plus moderne. Relativement symbolique de la musique grecque actuelle, le chanteur Monsieur Minimal (de son vrai nom Christos Tsitroudis – Χρήστος Τσιτρούδης) a sorti en 2011 un gros tube avec la chanson “Love Story”, chantée en anglais, qui est excellente en soi mais n’a rien de grec et aurait pu venir tout droit du Royaume-Uni. Dans le domaine de la musique électro/pop, la chanteuse Olga Kouklaki rencontre un succès tout à fait mérité, mais sa musique n’a rien de grec encore une fois.
Dans le répertoire récent chanté en grec, on peut évoquer Eleftheria Arvanitaki (Ελευθερία Αρβανιτάκη) qui a débuté sa carrière dans les années 1980 et continue à sortir de bonnes choses. Un tube de 2012, “Μη φεύγεις, μη μένεις”, vaut notamment le détour. La chanteuse Alkistis Protopsalti (Άλκηστις Πρωτοψάλτη), dont la carrière a débuté à la fin des années 1970, est aussi encore appréciée pour certaines de ses interprétations récentes. Pour de la musique à la lutherie et aux rythmes “davantage grecs”, on peut se tourner vers Areti Ketime (Αρετή Κετιμέ), jeune chanteuse de 24 ans ayant débuté sa carrière adolescente, et qui a notamment sorti en 2010 la chanson “Καλή σου τύχη” (et l’album du même nom), ainsi qu’un autre très bon album deux ans plus tôt.
A écouter sur YouTube :
Αρετή Κετιμέ – Το φεγγάρι (2008)
Αρετή Κετιμέ – Καλή σου τύχη (2010)
Monsieur Minimal – Love Story (2011)
Ελευθερία Αρβανιτάκη – Μη φεύγεις, μη μένεις (2012)
Olga Kouklaki – Hollow Lives (2012)
Pour terminer, d’autres pistes sont à exploiter du côté de la musique crétoise, des trios des années d’avant-guerre, ou encore des musiques de films souvent chantées par des acteurs et actrices célèbres des années 1960 à 1970. Le répertoire de la musique grecque est trop large pour que tout puisse être évoqué en détails ici !
Xavier Bargue, juin 2013